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Alors que les prix de l’habillement augmentent, la future loi sur la fast fashion cristallise les inquiétudes.

En cause : un contexte inflationniste persistant et une nouvelle taxe environnementale sur les vêtements à bas coût. Faut-il redouter une flambée des prix ou saluer une régulation nécessaire d’un secteur trop longtemps laissé à lui-même ? Décryptage.

Un contexte déjà tendu pour les consommateurs

Depuis 2021, l’inflation pèse sur le budget des ménages, en particulier sur les dépenses alimentaires, énergétiques et… vestimentaires. D’après l’Insee, le poste “habillement et chaussures” a connu une hausse de 5,3 % en 2023, après +4,7 % en 2022. Si ces chiffres restent inférieurs à ceux de l’alimentation, ils témoignent d’une tension durable sur les prix.

Les causes sont multiples : augmentation des coûts de production (matières premières, transport, salaires dans les pays fournisseurs), effets de change sur les importations, mais aussi recomposition de l’offre. De nombreuses enseignes intermédiaires ont réduit leurs stocks ou supprimé des lignes pour se recentrer sur des gammes plus rentables.

Dans ce contexte, les plateformes à bas coût comme Shein, Temu ou Vova sont devenues des solutions d’appoint – voire des recours essentiels – pour les consommateurs les plus modestes, en particulier les jeunes et les familles nombreuses.

Une loi pour réguler les excès de la fast fashion

Face à l’essor de ces plateformes et à leurs impacts environnementaux massifs, une proposition de loi visant à encadrer la fast fashion a été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale en mars 2024, puis renforcée au Sénat en mai.

Son ambition est double : lutter contre la surconsommation textile – le secteur est responsable d’environ 10 % des émissions mondiales de CO₂ – et freiner l’essor d’un modèle économique basé sur la quantité plutôt que sur la qualité.

Les principales mesures proposées sont :

·         La création d’un “malus écologique” progressif, jusqu’à 10 € par article, en fonction de l’impact environnemental des vêtements ;

·         L’interdiction des campagnes de publicité en France pour les plateformes ciblées ;

·         Un plafonnement des promotions : les réductions de prix ne pourront pas dépasser 50 % du prix moyen constaté, afin d’éviter les prix ultra cassés sur des produits à faible durée de vie ;

·         Une obligation renforcée de transparence sur les lieux de fabrication et les matériaux.

Un impact sur les prix difficile à éviter

Il est encore trop tôt pour mesurer précisément les effets économiques de cette loi, qui doit encore faire l’objet de textes d’application. Toutefois, les simulations disponibles permettent d’anticiper des tendances.

Selon les estimations du ministère de la Transition écologique, les articles les plus bas de gamme pourraient voir leur prix augmenter de 30 à 50 %. Ainsi, un tee-shirt vendu aujourd’hui à 3 € pourrait coûter 4,50 €, voire 6 €, une fois les taxes et plafonnements appliqués.

À l’inverse, les vêtements plus durables, produits en Europe ou labellisés, ne seraient pas touchés – et pourraient même devenir relativement plus compétitifs.

Une mesure utile, mais socialement sensible

Du point de vue écologique, les experts s’accordent sur un point : le secteur textile est aujourd’hui l’un des plus polluants et les moins régulés. Chaque année en France, près de 700 000 tonnes de vêtements sont mises sur le marché, et près de 40 % ne seront jamais portés ou le seront moins de cinq fois.

La fast fashion favorise une consommation impulsive, fondée sur des prix artificiellement bas, une production massive et une rotation constante des collections. Les géants asiatiques, notamment Shein, peuvent proposer jusqu’à 10 000 nouveaux articles par jour, avec des délais de fabrication de quelques jours seulement.

La loi vise à rendre ce modèle moins attractif et à rétablir une forme de concurrence loyale avec des acteurs qui misent sur la durabilité ou la relocalisation.

Mais son impact social ne peut être ignoré. Pour de nombreux consommateurs, ces plateformes sont devenues incontournables. D’après une étude Kantar, près de 42 % des 18-35 ans ont déjà effectué une commande sur Shein ou Temu. Parmi eux, une majorité déclare y recourir pour “des raisons de prix”.

Quelles alternatives pour les consommateurs ?

L’une des limites actuelles du projet de loi est l’absence de mesures d’accompagnement pour les ménages modestes, alors même qu’ils seront les premiers concernés par les hausses de prix.

Parmi les pistes avancées :

·         Le développement de la seconde main, à travers des plateformes comme Vinted, Le Bon Coin ou des initiatives locales. Mais ces solutions restent insuffisantes à grande échelle et ne couvrent pas tous les besoins, notamment pour les enfants ou les produits techniques (chaussures de sport, manteaux, etc.) ;

·         Les aides à l’achat responsable, comme les chèques “éco-habillement”, évoqués mais non inscrits dans le texte actuel ;

·         Le soutien à la production locale et circulaire, via des filières de recyclage, des ateliers de réparation ou des labels d’éco-conception.

Que pensent les associations de consommateurs ?

Plusieurs organisations, dont UFC-Que Choisir, ont salué l’intention de la loi, tout en appelant à plus de lisibilité pour les acheteurs. La notion de “prix moyen” qui servira de référence aux plafonnements reste floue, tout comme le mode de calcul de l’écocontribution.

Autre point d’attention : la traçabilité des produits vendus depuis l’étranger, souvent en dehors du cadre réglementaire européen. Sans contrôles renforcés à la frontière ou sur les plateformes numériques, une partie des produits à bas prix pourrait continuer à circuler sans être soumis à la taxe.

Un virage vers une consommation plus durable ?

Malgré les critiques, la loi représente une première tentative sérieuse de régulation d’un secteur opaque. En mettant en place des signaux prix en fonction de l’impact écologique, elle cherche à orienter les comportements, sans recourir à l’interdiction pure et simple.

À plus long terme, elle pourrait favoriser une évolution des habitudes de consommation, en encourageant l’achat moins fréquent mais plus qualitatif, et en soutenant les circuits courts.

Reste à voir si les industriels suivront, en adaptant leur offre, et si les consommateurs auront les moyens – et l’envie – de franchir ce cap.

Un arbitrage délicat

La loi anti fast fashion soulève une question centrale : comment concilier exigence écologique et justice sociale ? En renchérissant les vêtements les plus polluants, elle envoie un signal fort. Mais elle pose aussi un défi de pouvoir d’achat, dans un contexte où les ménages les plus modestes sont déjà fragilisés.

Pour réussir, cette transition devra être progressive, accompagnée, et mieux expliquée. Les intentions sont louables, mais leur mise en œuvre devra éviter de pénaliser ceux pour qui acheter un tee-shirt à 3 € n’est pas un choix, mais une nécessité.