De par la sociologie de leurs utilisateurs, mais aussi et surtout celles de leurs dirigeants et de leurs équipes, les entreprises du secteur de l’économie numérique sont montées au créneau au cours des derniers mois pour interrompre leurs campagnes publicitaires sur des médias marqués à droite et à l’extrême-droite. Un gel des annonces qui s’inscrit dans un projet politique, notamment porté par le mouvement activiste des Sleeping Giants, qui vise à couper les revenus publicitaires d’un certain nombre de médias.
Ce n’est pas un hasard si le monde de l’économie numérique a été l’un des premiers à réagir aux opérations des Sleeping Giants : le mouvement militant mène l’intégralité de ses opérations en ligne, sur Twitter, en interpellant les entreprises et marques diffusant des publicités sur des médias « propagateurs de haine ». Dans la ligne de mire des Sleeping Giants en France : CNews et Valeurs Actuelles notamment.
La marketplace Made In France, Le Bon Coin, a été une des premières entreprises du secteur à annuler ses publicités sur CNews dès le 18 octobre 2019, moins de 24 heures après avoir été interpellé par les Sleeping Giants. « Les propos d’Éric Zemmour vont à l’encontre de toutes les valeurs défendues par @leboncoinGroupe . Nous avons donc demandé à notre agence média d’arrêter la diffusion de nos campagnes de publicité sur les chaînes TV qui l’emploient », avait alors précisé l’entreprise sur Twitter.
Quelques semaines plus tard, c’est l’entreprise de logiciels commerciaux Salesforce, qui est interpellée et répond positivement aux Sleeping Giants en annonçant suspendre ses publicités sur le site Internet du magazine Valeurs Actuelles. Quelques heures plus tard, les Sleeping Giants savourent leur victoire et proposent leur aide pour accroître le boycott à d’autres médias : « Si vous êtes en train de revoir votre liste, nous pouvons vous proposer gratuitement une liste par DM ».
En janvier 2021, c’est un autre grand nom du commerce numérique, le leader mondial des logiciels de comptabilité Quickbooks, qui obtempère aux injonctions des Sleeping Giants. « Suite à votre mention, on a interrompu toutes nos campagnes sur la chaîne en question. Merci de nous avoir prévenus et bravo pour votre engagement ! », peut-on lire sur un tweet enthousiaste de l’entreprise.
Le positionnement direct et frontal de ces entreprises n’est en réalité que la partie visible de l’iceberg. Nombreux autres groupes du secteur de l’économie numérique, interpellés ou non par les Sleeping Giants, ont fait depuis 2019 le choix d’interrompre leurs campagnes de publicité sur les médias cités, sans toutefois communiquer sur le sujet.
Ainsi, ces derniers mois, des groupes comme Linkedin, Deliveroo, Unibet ou Just Eat, ont discrètement abandonné leurs investissements publicitaires sur CNews, qui est pourtant l’une des deux chaines d’information (avec BFM TV) les plus regardées en France. Une manière d’éviter les coups de semonce des Sleeping Giants sans se mettre en avant et risquer les contrecoups d’une politisation souvent mal perçue par les utilisateurs.
Au fond, le positionnement, assumé ou non, de censeur, est une tendance lourde du secteur de la tech, comme en atteste le réveil aussi tardif que brutal de Twitter et de Facebook à l’encontre de Donald Trump et des mouvances d’extrême-droite aux Etats-Unis. Les géants du Web sont devenus aujourd’hui tellement puissants qu’ils pensent avoir le droit et même le devoir de régenter le discours publique en ligne… et même sur les médias traditionnels. Au risque de fausser le débat démocratique.